Triste décadence +ADRIEL (05/01 ▬ 06: 12)

Je me réveillai en frissonnant. Comme chaque nuit, j'étais seule, étendue sous la pergola. Il faisait si froid sur les terres d'Irlande que de légers spasmes parvenaient à secouer ma jambe de temps à autres. Je tentai de me rendormir, en vain. Depuis quelques jours, j'étais tracassée. Hantée par des pensées trop optimistes. Jusque là, j’avais prétendu ne pas pouvoir supporter le moindre sourire, le moindre éclat de rire, et encore moins ne serait-ce qu’une minuscule marque d’affection. Jusqu’à cette nuit là, oui. Cette nuit là où j’avais couché avec un garçon et pendant laquelle j’avais éprouvé un désir insensé pour lui. Il fallait que je cesse de penser à ça. Ce type ne pouvait pas être un garçon bien, de toute façon, personne n’était quelqu’un de bien, à commencer par moi-même. De plus, j’étais fragilisée par ma relation avec Chris qui se faisait de plus en plus distante. Rongée par les remords, je ne trouvai finalement pas le sommeil et m’assit en tailleur sur le large coussin blanc. Je restai ainsi quelques heures, sans bouger, telle une statue de cire. Je jetai mon regard dans le vide et attendit, dans l’hiver glacial du pays. Par moment, j’étais prise de très légères convulsions, submergée par une vague de froid. Quand vint un premier rayon de soleil, je décidai de rentrer, préférant vivement l’austérité de la nuit à la gaieté du jour. J’entrai donc dans « Le Nid d’Amour ». Il était clair que la décoration était différente de mon Nid à moi, sous la pergola. Ici, d’affreux cœurs, d’horribles statues et des roses fraîchement coupées qui ne fanaient pas assez vite. Il faisait encore assez sombre dans la maison, j’en profitai pour tenter d'atteindre la salle de bains où j’espérais pouvoir faire ma toilette tranquillement. Je traversai le couloir en me laissant guider par ma main qui glissait contre le mur. J’ouvris une première porte, puis une seconde. Je marchai les yeux écarquillés, les bras tendus devant ma poitrine, comme un somnambule. Jamais je n’atteignais la douche, j’avais l’impression de tourner en rond. Et je fis finalement une chute foudroyante, étouffant un cri dans un oreiller. Je venais de tomber sur le lit d’un habitant. J’étais plutôt malchanceuse mais apparemment, cette fois-ci, je n’avais troublé le sommeil de personne, du moins, je l’espérais.

Mon moral revenait petit à petit ces derniers jours, j'allais même de mieux en mieux, ne soupirant plus à longueur de temps à chaque contrariété. Je dormais comme un loir depuis deux jours, ne pouvant expliquer ce soudain changement, moi qui avait l'habitude de souffrir d'insomnie, je ne m'étais pas réveillé une seule fois durant deux nuits et enchainaîs enfin les dix heures de sommeil paisible dont j'avais besoin. Je ne savais pas quelle heure il était, j'étais encore endormi, mais j'avais le sommeil légé et sursautai lorsque j'entendis dans le lit voisin au mien une cri étouffé. Me redressant, les cheveux batailles et les yeux mi-clos, je mis du temps à distinguer dans la pénombre une forme humaine, apparemment une fille. Me grattant la tête, je me penchai légèrement vers elle en plissant les yeux, encore trop fatiqué pour affiché une quelconque expression inquiète.

ADRIEL ▬ Boarf, tu tiens plus sur tes pattes, qu'est-ce que tu fabriques ?

Encore lui. Mes pensées funestes n’allaient pas s’échapper de si tôt. A l’instant où je croisai son regard, les images de cette folle nuit « d’amour », réapparaissaient pendant quelques poignées de secondes, comme des éclairs fissurant le ciel une nuit d’orage. Je détournai rapidement la tête, ravalant ma salive avec difficulté, la gorge nouée. Je ne préférais pas faire un pas de plus. J’aurais plutôt voulu m’enfuir, m’échapper loin, là où personne n’aurait pu me retrouver. Je fermai les yeux quelques moments pour me calmer. A l’instant où j’avais entendu le son de sa voix, mon cœur avait voulu transpercer ma cage thoracique, il s'en était fallu de peu. Peut-être ne m’avait-il pas reconnu ? Peut-être ne s’était-il pas adressé à moi ? Encore une fois, j’étais beaucoup trop optimiste. Jamais je n’aurais pu penser cela de moi. Et je me plaisais encore moins qu’avant. Je décidai de rester assise en tailleur sur le lit. Je ne pouvais pas continuer à fréquenter ce garçon qui m’était beaucoup trop nuisible.

Je n'avais pas reconnu tout de suite la jeune intruse. Mais ces cheveux de jais, le visage qui se dessinait dans la pénombre, cette façon de se tenir, refermer sur elle-même et sur le monde, courbée, mes joues se colorèrent aussi et je sentis mon coeur battre plus rapidement à cause du stress qui me prit soudain. Je m'assis sur son lit lentement, baissant mon regard sur mes pieds en posant ma main juste à côté de sa cuisse.

ADRIEL ▬ Désolé, je ne t'avais pas reconnu. Comment vas-tu depuis ... la dernière fois ?

Elle était silencieuse et semblait vide, le regard hagard, perdu dans l'épais tas de couverture qui couvrait le lit où nous étions assis. Une multitude d'image me revenaient en mémoire, deux corps sur un tapis, se mouvant follement dans des ébats ... passionnés. Je courbai le dos, posant mes avants-bras sur mes cuisses et la fixant du coin de l'oeil, un sourire bienveillant plaqué sur mes lèvres. Mon but n'était pas de la mettre mal à l'aise comme je l'étais moi, au contraire.

Arrête, arrête, arrête, pensai-je.

« S’il te plaît… enlève la… »

« Arrête, je t’en prie. »

Hey, calmes-toi je ne te ferais rien promis. Calmes-toi.

« Mais tu vois, tu comprends… » Moi-même, je ne savais pas à quoi aller rimer mon discours. « Pourquoi je suis différente avec toi ? Pourquoi je ne te refoule pas ? Qu’est-ce qui m’arrive hein ? » Enchaînai-je, le regard humide. « De toute façon, je ne peux plus reculer maintenant… A qui la faute, à moi, mais quelle conne. »

« C’est un secret… » lui susurrais-je à l’oreille avant de me reposer sur son épaule.

Je la sentis renifler discrètement, signe qu'elle avait finalement baissé les armes pour pleurer. Fermant les yeux, je passai mes mains dans ses cheveux en calant ma joue contre la sienne, humide. Elle se dégagea soudain, me déblatérant un discours hésitant, s'insultant seule, me posant des questions auxquelles je ne pouvais répondre. Je secouais la tête laissant mon doigt couler sur sa joue.

ADRIEL ▬ Parce que je suis trop beau pour que tu y parviennes ? Je souris. Iris, contrairement à ce que tu penses, tu as un cœur, petit et dur, certes, mais il est bel et bien présent, tu ne peux pas refouler tes sentiments constamment.

Je craignais un peu sa réaction. Parler avec Iris ainsi, c'était un peu comme marcher pieds nus sur une lame de rasoir géante. A tout moment on pouvait glisser et se trancher le pied. Elle déposa ses lèvres au coin des miennes dans un baiser léger, comme un papillon qui vous aurez effleuré la peau en se posant sur celle-ci.

ADRIEL ▬ Et il sera bien gardé, rassures toi.

« Promis ? » demandai-je pour me rassurer.

« Comment tu t’appelles ? » lui dis-je.

Promis.

Appelle-moi Apollon.

Nan je plaisante, Adriel pour te servir.

« J’aime pas ton prénom. » lançai-je.

Je pris un air outré en me décollant légèrement.

ADRIEL ▬ Non mais oh, moi je l'adore ! J'ai lu sur " urban dictionary " que ça voulait dire bête de sexe !

Je me tus, espérant ne pas avoir fais une boulette en ayant mentionné le mot sexe. Iris était imprévisible, mieux valait se méfier. Je la couvais du regard, fixant son visage osseux et ses longs bras fins silencieusement. Même si elle était vraiment très maigre, Iris était une jolie femme, c'était incontestable. Je posai mes yeux verts dans les siens, encore plus sombre dans le noir.

ADRIEL ▬ Tu es sûre de ne pas vouloir dormir ? Je peux rester avec toi si tu le souhaites.

« Ah… je savais pas. »

Je la sentis me pousser sur le lit, se blottissant contre moi. Je n'avais jamais imaginé partager une relation comme celle-ci avec Iris, mais soit, c'était une fille attachante dans le fond, elle ne pouvait que m'enrichir. Je la laissai parcourir mon torse en souriant, passant ma main dans ses cheveux en ramenant l'autre sur sa taille, la collant ainsi contre mon flanc. Je fermais les yeux, commençant à m'assoupir finalement. J'étais bien, j'avais la tête reposé et étais heureux que le malaise avec Iris ce soit dissipé. Je songeai au fait qu'elle ne serait surement pas ainsi avec moi en public mais m'en fichais. J'avais gagné une attache de plus dans la maison, je n'allais pas rechigner sur le reste. Enroulant une mèche de cheveux autour de mon doigt, je laissai ma joue s'écraser sur le haut de son front en souriant.

A présent, le fait que notre relation soit issue d'ébats sexuels alors que j'étais sous l'emprise de l'alcool me faisait presque sourire. C'était impensable pour moi il y a encore quelques jours. Je n'étais pas heureuse, ni contente, ni joyeuse, loin de là. Et ces mots me dégoutaient toujours autant. J'étais juste, moins déprimée, je savais que je pouvais trouver su réconfort auprès de quelqu'un et cette pensée m'apaisait. Je le laissai faire, tout comme je laissai mes paupières se clore. Je frissonnais sous ses caresses. Il s'arrêta brusquement puis, se blottit d'avantage contre mon corps. Finalement, je hissai un bras hors de la couette pour l'enlacer. Je n'avais pas envie de le lâcher. Je n'avais pas envie que cette journée débute et que j'aie à l'ignorer. Mon corps voulait se reposer mais mon esprit, non. Alors je rouvris les yeux, contemplant son visage, passant un doigt sur son nez, puis ses lèvres. J'avais envie de les embrasser, mais je me retins, préférant le laisser dormir.

Je la sentis m'enlacer, et dans un sourire, je fermai les yeux en préférant ne pas penser au moment où nous devrions nous réveiller et cacher notre soudaine nouvelle amitié aux autres. Je comprenais que je n'étais pas une honte pour Iris, il fallait que je lui laisse le temps, elle avait l'air d'avoir du mal à assumer le fait qu'elle pouvait ressentir plus que de la haine pour un individu. Je la laissai passer son doigt sur mon nez, me chatouillant, puis mes lèvres. J'embrassai alors celui-ci doucement, un sourire s'étalant au coin de mes lèvres. Non, mieux valait ne pas penser à demain, à moins de vouloir gâcher ce beau moment.

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